Choucroute, baeckeoffe, kougelhopf… La simple évocation de ces plats gourmands et généreux nous met l’eau à la bouche. Ils sont synonymes de convivialité, de partage et de tradition. Indissociables des spécialités alsaciennes, les moules, plats, pots et cruches en terre cuite de Soufflenheim et de Betschdorf font eux aussi partie intégrante du patrimoine local.
Mais savez-vous à quand remontent les premières poteries d’Alsace ? Comment ont-elles évolué au fil du temps, pour devenir un emblème du terroir régional, désormais protégé par un label ? Les techniques de fabrication ont-elles changé ?
Découvrez sans attendre les réponses à ces questions (et à bien d’autres…).
Villages de potiers d’Alsace : un savoir-faire ancestral
La poterie en Alsace : quatre mille ans d’histoire
De l’âge de bronze au moyen âge : naissance et essor de la poterie alsacienne
Les premières poteries d’Alsace remontent à deux mille ans avant notre ère. Des fragments de récipients en terre cuite datant de cette époque ont été découverts dans la forêt de Haguenau, dont le sous-sol est riche en argile. Ils ont été déposés au musée de la ville de Haguenau. Un vrai trésor qui nous prouve l’existence des potiers dans la région dès l’âge de bronze.
D’autres fouilles attestent par ailleurs de l’existence de fabriques de tuiles, de briques et de carreaux pendant la présence romaine. On peut sans peine imaginer que les fours cuisaient également des poteries à usage domestique.
L’histoire de la poterie de Soufflenheim se poursuit pendant toute la période médiévale. Un événement va largement contribuer à son essor durable dans la région. Au XIIe siècle, l’empereur Frédéric 1er Barberousse accorde à tous les potiers du village et à leur descendance, le droit d’extraire gratuitement et à perpétuité l’argile de la forêt de Haguenau ; il les autorise également à vendre leur production. D’après la légende, le souverain serait tombé de cheval lors de son jour de chasse. Secouru par un potier qui travaillait dans la carrière d’argile, il aurait accordé ce droit d’extraction aux potiers de Soufflenheim en signe de gratitude.
L’activité continue de se développer, alternant périodes de prospérité et de crise.
Ainsi, la guerre de Trente ans, qui a frappé la région de plein fouet au XVIIIe siècle, a amené les différents ateliers de Soufflenheim à refondre leur activité. Une reconversion qui leur sera salutaire quelques années plus tard, au point que certaines fabriques poursuivent la production de ces pièces aujourd’hui encore.
L’époque moderne : l’âge d’or de Betschdorf et Soufflenheim
À partir de la période moderne (XVIIIe – XIXe siècles), avec la réalisation de pièces de vaisselle plus richement décorée, la poterie alsacienne devient un art de la table.
Pourtant, les maîtresses de maison recherchent des objets et des matériaux toujours plus raffinés, comme la faïence. Cet engouement entraîne le déclin des petits ateliers locaux, tandis que Betschdorf et Soufflenheim connaissent leur apogée, grâce aux manufactures qui avaient auparavant diversifié leur production. Ainsi, en plus de continuer à produire de la vaisselle, on fabrique également à Betschdorf des canalisations et des récipients pour l’industrie ; à Soufflenheim, des dalles réfractaires, des briques, des pots de fleurs, de la vaisselle de poupée, des petites figurines et même des objets comme des sifflets en terre cuite.
On peut admirer un grand nombre de ces céramiques de Betschdorf et Soufflenheim au musée alsacien de Strasbourg.
Au plus fort de leur activité, vers le milieu du XIXe siècle, on dénombre à Betschdorf une soixantaine d’ateliers et presque autant à Soufflenheim.
L’époque contemporaine : la poterie d’Alsace toujours au top
Les potiers des villages d’Alsace ont beau être moins nombreux que par le passé, tous restent animés par la même passion et la même fierté que leurs ancêtres. Ces manufactures répètent les gestes nobles d’un art millénaire, mais ont aussi à cœur d’évoluer, pour allier tradition et modernité.
La vaisselle redevient leur cœur de métier. Souvent inspirés du style art déco, les motifs apportent couleur et fantaisie aux formes des moules, cocottes et plats, qui sont restées identiques dans la plupart des fabriques.
Les formes les plus répandues à Soufflenheim sont les moules à kouglof, les terrines alsaciennes, les moules à langhopf et les plats plus classiques comme les plats à tarte, assiettes diverses ou encore plats à asperges par exemple, et bien sûr des vases et autres pots. Les différents visuels représentent des motifs typiques de l’Alsace comme les cigognes, les oies, les cœurs, les bretzels ; ils peuvent aussi être plus artistiques, avec des fleurs et des arabesques, ou carrément modernes, avec des pois ou des tâches. De nouveaux coloris font aussi leur apparition.
Perpétuer un savoir-faire ancestral tout en faisant preuve d’innovation et de créativité : un défi que relèvent les artisans potiers à chaque étape leur production. Au fait, savez-vous comment on fait une poterie ? On vous explique…
Les étapes de fabrication d’une poterie de Soufflenheim
La réalisation d’une céramique est le résultat d’un long processus. Tout commence par l’extraction de la matière première : l’argile.
D’où provient l’argile
Riche et naturel, le principal gisement d’argile d’Alsace se trouve à Soufflenheim, ou plus précisément, à proximité, dans la forêt de Haguenau.
On en trouve également entre Woerth et Wasselonne, dans le Bas-Rhin, ainsi que dans le secteur de Burnhaupt-le-Bas et Altkirch, dans le Haut-Rhin.
Les couches de terre glaise sont situées à plusieurs mètres sous terre. Une fois extraite et débarrassée des petits résidus de végétaux et de minéraux, l’argile est prête à être manipulée par le potier.
Comment sont faites les poteries en terre cuite de Soufflenheim
Aujourd’hui encore, certains modèles sont façonnés entièrement à la main ou avec le tour, d’autres sont moulés à la presse.
Pour la fabrication avec la technique du pressage, le potier place un rondin d’argile dans la presse équipée du moule souhaité. L’argile prend la forme du moule après le pressage, il faut alors manipuler la poterie avec précaution.
Avant de la laisser sécher, le potier réalise l’ébavurage à la main, puis au couteau pour plus de détails. Cette étape est cruciale, car elle donne la forme finale de la poterie. L’argile doit être bien lisse pour garantir un trempage de qualité. Le lissage est effectué à l’aide d’une éponge, il permet d’enlever les petits défauts liés au trempage.
On peut ensuite donner la couleur à la poterie, cette étape s’appelle l’engobage. La couleur se prépare au préalable avec les restes d’argiles récupérés lorsque la poterie est détaillée. Pour obtenir une peinture à texture laiteuse, on mélange l’argile, l’eau et le colorant. La couleur est ensuite appliquée et doit reposer entre une et trois semaines. Après ce long temps d’attente, vient le moment de réaliser les différents motifs alsaciens. C’est un travail minutieux qui demande une grande concentration. Les motifs sont entièrement réalisés à la main par un dessinateur ou une dessinatrice.
Une fois les décors finalisés, la poterie est alors trempée dans un émail transparent qui la consolide.
Il est indispensable, avant le passage au four, d’enlever les surplus d’émail pour un résultat net et propre. Notre poterie peut enfin aller à la cuisson, elle sera enfournée à 1000 degrés durant 24 heures. Pourquoi une température aussi élevée ? C’est justement suite à cette forte chaleur que la poterie deviendra solide. Elle pourra supporter de très hautes températures pour garantir la cuisson de nos plats alsaciens préférés. En sortant du four, la poterie pourra enfin nous révéler sa couleur finale.
Cette fabrication traditionnelle se transmet de génération en génération avec la plus grande des fiertés. D’ailleurs, certains ateliers ont obtenu l’appellation « Poteries d’Alsace – Soufflenheim/Betschdorf » grâce à l’utilisation de ces techniques entièrement artisanales. C’est aussi grâce à leur savoir-faire d’exception que les potiers de Soufflenheim et Betschdorf ont obtenu cette indication géographique protégée.
Des poteries aux utilisations multiples
Il y a deux millénaires, les poteries étaient majoritairement utilisées comme moyen de conservation, ainsi que pour cuire la nourriture. C’est bien sûr toujours le cas aujourd’hui.
Par la suite, les différentes vaisselles sont apparues. Elles occupent encore une place privilégiée lors des repas de famille, car elles sont idéales pour mitonner, par exemple, un excellent Baeckeoffe alsacien. Le maître ou la maîtresse de maison a plaisir à cuisiner dans ces plats et cocottes, mais aussi à les présenter à table. Car en plus d’être pratique pour la cuisson de grands plats familiaux, la céramique alsacienne est également décorative.
Il est d’ailleurs préférable d’utiliser des moules ou terrines en poterie pour les préparations à haute température, car ils permettent une cuisson douce des aliments et donc de manger plus sainement.
Les potiers de Soufflenheim aujourd’hui : des artisans passionnés
Actuellement, une dizaine d’ateliers de poterie exercent encore leur métier à Soufflenheim. Les plus grands amoureux de cette tradition soufflenheimoise perpétuent une fabrication artisanale. Ils travaillent encore souvent en famille : mari et femme, père et fils, père et filles, sœurs… Venez les rencontrer et visiter Soufflenheim dans le Nord de l’Alsace. Vous découvrirez un charmant village alsacien rempli d’histoire et des artisans qui seront ravis de partager leur passion et de vous montrer leur atelier et leur production si variée.
Que ce soit une terrine alsacienne (pour mitonner une savoureuse choucroute garnie, un baeckeoffe ou un coq au riesling), un moule à kouglof ou un plat à langhopf (pour réaliser une délicieuse brioche traditionnelle alsacienne), les poteries de terre vernissée de Soufflenheim sont indispensables pour réussir ces spécialités que l’on aime tant.
Après avoir vu en détail l’histoire et les processus de fabrication de la poterie de Soufflenheim, intéressons-nous maintenant plus spécifiquement à la poterie de Betschdorf.
Les poteries de Betschdorf à travers le temps
À une dizaine de minutes de Soufflenheim, Betschdorf est un autre village de potiers alsaciens, tout aussi intéressant et reconnu pour son art. Bien que les deux villages ne soient distants que de quelques kilomètres, leurs créations sont très différentes.
Les poteries de Betschdorf se démarquent en effet par l’utilisation d’une matière qui donne une signature unique à leurs produits, le grès au sel, et se caractérisent par deux couleurs emblématiques, le gris et un bleu flamboyant.
L’histoire de la poterie de Betschdorf est également bien différente de celle de sa voisine.
Histoire de la poterie de Betschdorf
Au XVIIIe siècle, ce sont des potiers du Westerwald (région allemande de Rhénanie Palatinat) qui amènent leur savoir-faire à Betschdorf.
À l’origine, le grès était cuit à une température à plus de 900°C afin d’obtenir une poterie beaucoup plus dense et imperméable. Par la suite les potiers du Westerwald y ajoutent du sel. La réaction entre l’argile et le sel forme un vernis transparent et permet une étanchéité incomparable.
Les différents ateliers au fil des siècles
C’est en 1706 que les registres du village recensent pour la première fois l’existence d’un potier, sous le nom de potier de terre Dankil. Quelques années plus tard, en 1717, est mentionné le nom de Spitz, connu comme exerçant le métier de marchand de vaisselle de la ville « Geschirrhändler ». 3 ans plus tard, il devient également fabricant de cruches « Krugmacher ». Ces deux potiers ne restent cependant pas à Betschdorf et il faut attendre 1734 pour voir s’installer Peter Wingerter et Johannes Krummeich, originaires de Westerwald.
À partir de la fin de XVIIIe siècle, le nombre d’ateliers augmente de plus en plus dans le paisible petit village d’Alsace du nord. On en compte alors une vingtaine et ce n’est qu’un début… Par la suite, plusieurs autres familles de potiers s’installent à leur tour et en 1864, ils sont une cinquantaine d’artisans à exercer leur métier dans 31 fabriques.
Mais à partir de 1900, les échanges économiques avec la France sont fortement réduits (l’Alsace est allemande à cette époque). Le village ne compte plus que 16 ateliers. Plus tard, l’ensemble des ateliers de potiers s’unissent, avec pour objectif commun de faciliter les ventes. Ils nomment alors ce collectif « Poteries réunies de Betschdorf ».
Ce n’est qu’à partir de XXe siècle que la poterie d’art devient une grande mode. Pour faire face à la concurrence de nouveaux produits comme le verre, Hubert Krumeich, Albert Schmitter et Charles Wingerter initient la poterie fine : vases, pichets, verres, tasses, etc. Celle-ci est toujours pratiquée dans les ateliers encore en activité à Betschdorf.
Le musée de la poterie au cœur de Betschdorf, établi dans une magnifique maison à colombages du début du XVIIIe siècle, présente l’ensemble des productions locales datant de XVIIIe siècle à nos jours. N’hésitez pas à aller le visiter.
Vous en savez maintenant plus sur la poterie de Soufflenheim et Betschdorf, ces deux villages alsaciens dotés d’un savoir-faire unique. Merci d’avoir lu cet article. N’hésitez pas à partager en commentaires vos histoires, vos anecdotes et expériences !
Commentaire (1)
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Merci pour cet article très intéressant sur la poterie de Soufflenheim. Le nord de l’Alsace est un secteur à visiter absolument, avec un passage obligé par les poteries, on peut d’ailleurs facilement les visiter, les potiers sont ravis de faire découvrir leur savoir-faire !